Les Tunisiens votent dimanche lors d’une dernière élection présidentielle entre un professeur de droit discret et un magnat des médias charismatique qui a été libéré de prison plus tôt cette semaine.
Le pays du Maghreb, souvent considéré comme l’unique « Success Story » du printemps arabe, semble prêt à mener à bien sa deuxième élection présidentielle, avec un tour de scrutin plus de 26 candidats, le juriste Kais Saied et l’homme d’affaires Nabil Karoui.
#Tunisie #TnElec2019 Ça c'est du titre –
Robocop v Corleone: disgruntled Tunisians vote in presidential runoff https://t.co/h8nrr3lIwJ— Ahmed Ben Cheikh (@7bc) October 13, 2019
Un sondage « sortie des urnes » publié dimanche soir a révélé une victoire écrasante de Saied, crédité à 72% des personnes interrogées par l’Institut de sondage « Emrhod Consulting ». Selon des analystes, le choix des deux candidats sur des personnalités politiques connues reflète le mécontentement généralisé à l’égard de la crise économique du pays – un facteur clé qui a conduit les Tunisiens à la rue en 2011.
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— Guardian Africa (@GuardianAfrica) October 13, 2019
« La grande déception suscitée par l’absence de réforme économique est primordiale pour les électeurs », a déclaré Safwan Masri, professeur à la Columbia University. « Le fait que des candidats à la présidentielle tels que le ministre de la Défense du pays ou son Premier ministre aient échoué envoie un message fort: « Nous en avons terminé avec vous, nous en avons terminé avec l’établissement et leurs promesses non-tenues. »
Le taux de participation était d’environ 60%, soit le même taux que lors de l’élection du 15 septembre et est bien inférieur aux 64% d’électeurs inscrits qui ont voté lors du scrutin présidentiel il ya cinq ans.
Comment un journal Britannique ose traite deux futures présidents de ces noms ??? https://t.co/j1oh4lt4UZ
— Dhaker Lahidheb (@dhakercardio) October 13, 2019
Certains Tunisiens surnomment Saied, 61 ans, « Robocop » pour sa raideur et sa présentation sombre. Ils appellent Karoui, 56 ans, un magnat de la publicité, de « Michael Corleone», en référence aux accusations de blanchiment et d’évasions fiscales qui le poursuivent ces dernières années.
Les deux hommes se sont disputés, vendredi soir, dans un débat télévisé rare au cours duquel Saied – qui se déclare indépendant – s’est adressé à l’auditoire en arabe classique, tandis que Karoui, s’exprimant dans un dialecte local, avec des promesses de campagne d’aider les pauvres.
Karoui dirige la chaîne de télévision privée Nessma depuis 2002, mettant à profit sa réputation caritative ces dernières années avec une émission populaire dans laquelle il distribue des aides aux familles les plus pauvres du pays.
Saied, en revanche, était relativement inconnu. Il avait enseigné le droit constitutionnel à l’Université de Tunis jusqu’à sa retraite en 2018 et le lancement de sa campagne politique. Son manque relatif de charisme joue peut-être à son avantage, selon des analystes, qui estiment que son attrait repose sur l’idée qu’il est incorruptible et honnête.
Il plaide pour l’abandon du système parlementaire du pays en faveur d’un modèle démocratique décentralisé et est socialement conservateur, déclarant qu’il est pour la criminalisation des homosexuels et contre l’égalité homme-femme devant l’héritage. Il est aussi pour la restriction du travail des ONG étrangères dans le pays.
Karoui a été arrêté au mois d’aout, la veille de sa campagne, alors que beaucoup le considéraient comme un stratagème visant à enrayer sa popularité, mais qui semblait s’être retourné contre lui, ce qui a conforté son statut d’étranger. Il reste sous le coup d’une interdiction de voyager à l’étranger.
Mais s’il remporte ce second tour, Karoui « bénéficierait de l’immunité… et toutes les poursuites judiciaires à son encontre… Seront suspendues jusqu’à la fin de son mandat », a déclaré le professeur de droit constitutionnel Salsabil Klibi à l’Agence France-Presse.
La Tunisie a frôlé le chaos au cours des années qui ont suivi sa révolution, alors que les courants islamistes et laïques se battaient pour le contrôle du pays. Sa transition est apparue plus risquée en 2013 après l’assassinat de plusieurs dirigeants de gauche, prétendument par des extrémistes islamistes, ce qui a accentué la polarisation entre les factions politiques du pays.
Saied est considéré comme le favori tout en bénéficiant du soutien du parti islamiste Ennahdha, premier aux législatives, bien qu’il soit loin de réclamer une majorité. Le pouvoir présidentiel est également limité, et les réformes importantes que préconisent les défenseurs de Saied nécessiteraient une majorité des deux tiers au Parlement, difficile à réunir, ajoute le professeur Al Masri.
« Il va être un chef isolé car il n’a pas de parti politique », a-t-il précisé. « Il y a une chance qu’il puisse être un président hors de propos. » Karoui aura également du mal à gouverner efficacement s’il gagne dimanche, a déclaré Youssef Cherif, directeur de l’institut de recherche Columbia Global Centers à Tunis.
« Le prochain président acceptera donc sa position constitutionnelle, celle d’une figure semi-cérémonielle unissant le pays en temps de crise, plutôt que d’un homme fort et puissant. » Les sondages « sortie des urnes » connus dimanche soir et le résultat final sera probablement annoncé dans quelques jours.
Par Michael Safi, correspondant du Guardian, traduit par la rédaction