Plus de six millions de vacanciers sont venus en Tunisie cette annĂ©e, soit davantage qu’en 2014, avant une sĂ©rie d’attentats dĂ©vastateurs: mais si le tourisme a rebondi, les retombĂ©es Ă©conomiques ne suivent pas, entre mauvaise gestion, concurrence et difficultĂ© Ă rapatrier les devises.
Les revenus du tourisme en euros ont augmentĂ© de 28% sur un an, du 1er janvier au 20 septembre, Ă 1 milliard d’euros, pour 6,2 millions de touristes, selon le gouvernement tunisien.
Cela constitue plus de touristes que sur l’ensemble de l’annĂ©e 2014 (6,07) mais, dans le mĂªme temps, moins des deux tiers des recettes engrangĂ©es cette annĂ©e-lĂ (1,59 md d’euros).
« Ça repart en nombre de visiteurs, mais en +cash flow+, on est loin du compte », estime un haut cadre de la STB, l’une des principales banques tunisiennes, mise en difficultĂ© par l’imposante dette des hĂ´teliers.
La STB, banque publique massivement recapitalisĂ©e en 2015, traĂ®ne 1,7 milliard de dinars de dettes des hĂ´teliers. En tout, ces derniers doivent toujours 4,4 milliards de dinars (1,4 milliard d’euros) Ă l’ensemble des banques.
Ces crĂ©ances empĂªchent les Ă©tablissements endettĂ©s de contracter de nouveaux crĂ©dits pour se moderniser.
« Un tiers de l’offre touristique n’est pas viable Ă©conomiquement, il faut Ă©purer le secteur », estime la mĂªme source, soulignant que le revenu moyen par chambre est trois fois infĂ©rieur en Tunisie qu’au Maroc.
Recouvrement
L’hĂ´tellerie a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e Ă marche forcĂ©e dans les annĂ©es 1990 sous le rĂ©gime de Zine el Abidine Ben Ali. Les banques ont prĂªtĂ© largement Ă des notables pour qu’ils lancent leur hĂ´tel, donnant naissance Ă une multitude d’Ă©tablissements souvent mal gĂ©rĂ©s.
Depuis 2015, une circulaire permettait aux banques de ne pas provisionner les créances non performantes des opérateurs touristiques.
Il s’agissait d’allĂ©ger la pression sur ces acteurs clĂ©s de l’Ă©conomie, dans la foulĂ©e d’attentats contre le principal musĂ©e de Tunis (le Bardo) et une station balnĂ©aire de Sousse, qui avaient fait 60 morts et entraĂ®nĂ© une chute brutale du tourisme. Mais cette facilitĂ© n’a pas Ă©tĂ© renouvelĂ©e cette annĂ©e.
« Un crĂ©dit, ça se rembourse, (et) le temps est venu pour cela », souligne le directeur gĂ©nĂ©ral de la STB, Samir Saied. « Autant nous avons Ă©tĂ© flexibles, autant nous allons Ăªtre très exigeants sur le remboursement », martèle-t-il. Un pari compliquĂ©: la STB dĂ©plore une durĂ©e moyenne des procĂ©dures en justice dĂ©passant les sept ans.
« C’est un secteur chouchoutĂ© par l’Etat. Quand une banque va en justice contre un hĂ´tel, on ne cesse de nous rappeler que c’est le tourisme qui fait vivre 800.000 familles… », estime un cadre d’une banque franco-tunisienne.
Un livre blanc a Ă©tĂ© mis au point avec la FĂ©dĂ©ration tunisienne de l’hĂ´tellerie (FTH) pour Ă©purer les dettes, mais il n’a toujours pas Ă©tĂ© approuvĂ© par le gouvernement.
La dépréciation du dinar, si elle rend la destination Tunisie plus attrayante, pèse également sur les retombées du tourisme calculées en devise.
Fraudes
En outre, une concurrence effrĂ©nĂ©e affaiblit les hĂ´tels de moyenne et basse gammes. Ceux-ci ont peu de pouvoir de nĂ©gociation face Ă des tour-opĂ©rateurs dont les charters sont la seule façon de pallier le manque de vols rĂ©guliers, souligne la FTH, qui rĂ©clame l’ouverture Ă la concurrence du trafic aĂ©rien, un serpent de mer en Tunisie.
Après 2011, « nous n’avons pas su profiter de la crise (du tourisme) pour renouveler l’offre », souligne Mouna Ben Halima, secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale adjointe de la FTH, dĂ©plorant que les trois quarts des touristes europĂ©ens viennent en Tunisie via des voyages organisĂ©s.
Une poignĂ©e d’intermĂ©diaires engrangent en outre une large part des bĂ©nĂ©fices des propriĂ©taires incapables de traiter eux-mĂªmes avec les tour-opĂ©rateurs Ă©trangers, souligne la STB.
Et certains patrons d’hĂ´tels sont soupçonnĂ©s de frauder, plaçant en Europe ou dans le foncier une partie de leurs recettes.
« LĂ©galement, les bĂ©nĂ©fices doivent Ăªtre rapatriĂ©s dans les banques tunisiennes, mais on sait qu’une partie de l’argent reste ailleurs », explique le cadre de la STB.
Pour les hôtels qui encaissent de précieuses devises, ces fonds sont soumis à une réglementation stricte, appliquée de façon particulièrement tatillonne par la banque centrale ces derniers mois, car les réserves sont au plus bas.
« Certains ne rapatrient pas les fonds, cela évite à la fois la fiscalité et les restrictions aux mouvements de devises », explique un spécialiste des marchés de change.
En outre, un marchĂ© noir aux taux juteux attire au moins 30% des devises selon lui –dont la majoritĂ© de celles changĂ©es manuellement auprès des hĂ´tels ou des commerces par les touristes.