Beyrouth, (Reuters) — Les premiers éléments de l’enquête sur l’explosion de mardi au port de Beyrouth mettent en cause des années d’inaction et de négligence malgré la présence sur le site de milliers de tonnes d’un produit chimique hautement explosif, a-t-on appris mercredi de source officielle proche des investigations.
La théorie de l’explosion d’un entrepôt de nitrate confisqué il y a des mois par les douanes à bord d’un navire russe semble de plus en plus se confirmer. La corruption, donc, serait à l’origine de ce drame sans nom, à en croire les autorités elles-mêmes #Liban #Beyrouth #Lebanon
— Rania Massoud (@RaniaMassoud) August 4, 2020
Le Premier ministre et la présidence ont déclaré mardi que 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium, un composant utilisé pour la fabrication d’engrais mais aussi d’engins explosifs, étaient stockés depuis six ans sur le port sans mesures de sécurité particulières.
2.750 tonnes de nitrate d’ammonium stockés en plein cœur de la capitale
« C’est de la négligence », a dit la source officielle à Reuters, ajoutant que les inquiétudes suscitées par le dossier avait été exprimées à plusieurs reprises devant différentes commissions et devant la justice sans que « rien ne soit fait » pour ordonner l’évacuation de ces matières extrêmement dangereuses.
#Beyrouth : "La fumée rousse au moment de l'explosion, ça confirme que c'est bien du nitrate d'ammonium" https://t.co/rxMUXwwh69 #Liban pic.twitter.com/521bkq8hhs
— France Inter (@franceinter) August 5, 2020
Cette personne a précisé qu’un incendie s’était déclenché au hangar n°9 du port avant de s’étendre au hangar n°12, dans lequel était stocké le nitrate d’ammonium. L’explosion de mardi a fait plus de 100 morts selon un bilan qui risque de s’alourdir encore, une grande partie de la ville ayant été touchée.
Des alertes et des mises en garde du danger depuis 2014
Le directeur général des Douanes libanaises, Badri Daher, a déclaré mercredi à la chaîne de télévision LBCI que ses services avaient averti à six reprises la justice des risques liés à la présence de nitrate d’ammonium dans le port.
« Nous avons demandé qu’il soit ré-exporté mais cela ne s’est pas fait. Nous laissons aux spécialistes et aux personnes concernées le soin de déterminer pourquoi », a-t-il ajouté.
Une autre source proche d’un salarié du port a déclaré qu’une équipe ayant inspecté le nitrate d’ammonium il y a six mois avait mis en garde contre le risque qu’il « fasse sauter la totalité de Beyrouth » s’il n’était pas déplacé.
Selon deux documents que Reuters a pu consulter, les Douanes ont demandé en 2016 et en 2017 à la justice de prier « l’agence maritime concernée » de ré-exporter ou d’approuver la vente du nitrate d’ammonium déchargé et stocké au hangar n°12, afin d’assurer la sécurité sur le port. L’un des documents évoque des demandes similaires remontant à 2014 et 2015.
« Une enquête locale et internationale doit être menée sur l’accident, au vu de son ampleur et des circonstances dans lesquelles ces marchandises ont été acheminées jusqu’au port », a dit Ghassan Hasbani, ancien vice-Premier ministre et membre du parti des Forces libanaises.
Shiparrested.com, un réseau spécialisé dans les aspects juridiques du transport maritime, a rapporté en 2015 que le cargo Rhosus, sous pavillon moldave, avait fait escale à Beyrouth en septembre 2013 en raison de problèmes techniques alors qu’il devait relier la Géorgie au Mozambique avec 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium dans ses soutes.
Il précise que le bateau s’est vu interdire de repartir après une inspection et qu’il a été abandonné peu après par ses propriétaires, ce qui a déclenché une série de procédures judiciaires de leurs créanciers.
« En raison des risques liés au maintien du nitrate d’ammonium à bord du navire, les autorités portuaires ont déchargé la cargaison dans les entrepôts du port », ajoute-t-il.
Le Liban est endetté à hauteur de 92 milliards de dollars –soit environ 170% de son PIB– le Liban « va restructurer sa dette conformément à l’intérêt national », a précisé le nouveau chef du gouvernement, désigné fin décembre, plus de deux mois après le début d’un mouvement de contestation inédit contre la classe politique accusée de corruption et d’incompétence.
« Nos réserves en devises ont atteint un niveau inquiétant (…) poussant le gouvernement à suspendre (le paiement d’une dette arrivant) à échéance le 9 mars », a déclaré M. Diab dans un discours retransmis par les chaînes locales.
« C’est le seul moyen pour stopper l’hémorragie (…) avec le lancement d’un vaste plan de réformes nécessaires » incluant une « baisse des dépenses publiques », a-t-il ajouté.
Le pays a commencé à s’endetter massivement à la fin de la guerre civile pour financer sa reconstruction mais faute de réformes et de bonne gouvernance, le déficit public s’est creusé et la dette publique est passée de quelques milliards de dollars au début des années 1990 à plus de 90 milliards de dollars aujourd’hui.
Édité avec Jean-Stéphane Brosse