En 2011, quelques mois après la chute de Ben Ali j’étais encore dans l’euphorie de la révolution. Je travaillais à l’époque sur la reprise d’une comédie qui avait connu pas mal de succès auprès du public (une adaptation de la pièce DEBRAYAGE du belge Rémi De Vos).
Le metteur en scène de la pièce, un Français qui était professeur de français à PMF -SG- était comme nous tous, fier, optimiste et surtout impressionné par ce que les Tunisiens étaient capables d’accomplir pour venir à bout d’une dictature de bandits et de prendre leur destin en main.
Octobre 2011, c’est le réveil difficile après la déconfiture des partis démocrates et la victoire du parti Enahdha qui forme une alliance avec le parti des dingos (CPR) et le parti des vierges effarouchées (Ettakatol).
Le bal est ouvert et la Tunisie allait commencer ce jour-là sa longue chute vers l’abime. Au lendemain de la défaite je suis arrivé à la cafète d’Elteatro pour les répétitions et j’ai trouvé Sylvère au comptoir dans tous ses états.
Il n’arrive toujours pas à comprendre comment un peuple se soulève contre une dictature pour se soumettre à une autre forme de dictature mille fois plus dangereuse que la première ? Il me cueille à froid en disant : « Issam mon ami tu arbores ce beau sourire de l’imbécile heureux et je pense que tu ne saisis toujours pas l’étendu de la catastrophe qui vient d’arriver ?
Il faut que tu lises Molière et surtout sa pièce Tartuffe pour que tu comprennes ce qui se passe ». « Je n’ai jamais vu un pays révolutionnaire qui fais confiance aux faux dévots, je n’ai jamais vu ça dans l’histoire moderne à l’exception de l’Iran ».
On a parlé ce jour-là de Lech Wałęsa et de la Pologne qui était unie autour d’un seul projet : reconstruire le pays et sortir du carcan de l’idéologie et mettre le cap définitivement sur la modernité.
La Pologne unie a reçu un appui plus que généreux de la part des pays européens démocratiques, un autre encore plus généreux de la part des États-Unis et pourtant le pays a mis 20 ans pour sortir de l’ornière.
Comment la Tunisie peut-elle s’en sortir avec un peuple divisé entre modernistes sans boussole et des faux dévots qui savent bien tirer profit du commerce religieux, une Tunisie qui a reçu un appui mi-figue mi-raisin de la part des pays libres et qui peine toujours à donner ne serait-ce qu’un signe que la reconstruction a enfin commencé ; une Tunisie perdue entre mille et un projets : celui du khalifat bien sûr, l’autre du start-up nation deux point zéro, l’autre encore plus tragique : un mélange de livre Vert de Khaddafi, du Capital de Marx et du Léninisme à la sauce piquante de Béni Khiar.
Par Issam Ayari, homme de théâtre et auteur de la pièce Sapiens