Plusieurs hommes d’affaires soupçonnés de corruption ont été arrêtés en Tunisie, un coup de filet largement salué qui fait espérer à beaucoup une opération “Mains propres”, six ans après la chute de la dictature.
« La Tunisie de l’intérieur ne voit rien venir depuis la révolution »
Si la révolution de 2011 a en grande partie été motivée par le népotisme du régime de Zine El Abidine Ben Ali, la corruption reste un fléau au point d’être devenue « endémique » de l’aveu même de responsables. Elle est perçue comme un puissant frein à la relance économique de l’unique rescapé du Printemps arabe.
Soit la corruption,soit l’Etat.Soit la corruption,soit la #Tunisie,et comme tous Tunisiens, j’ai choisi la Tunisie https://t.co/s0OgGskVfs
— The Godfather (@Al_Pacino_) May 24, 2017
« C’est en vertu de l’état d’urgence en vigueur depuis un an et demi que des hommes d’affaires et un responsable douanier ont été placés mardi soir en résidence surveillée pour être interrogés dans le plus grand secret », a indiqué à l’AFP un haut responsable sous le couvert de l’anonymat.
https://twitter.com/FranceNews24/status/867463334282620929
Le richissime Chafik Jarraya, l’ex-candidat à la présidence Yassine Chennoufi, l’homme d’affaires Nejib Ben Ismaïl et un gradé de la Douane, Ridha Ayari, « sont impliqués dans des affaires de corruption et soupçonnés de complot contre la sûreté de l’Etat par leur incitation et le financement présumé de mouvements de protestation à El-Kamour et dans d’autres régions », a précisé la même source.
… debout au côté de la #Tunisie" (fin de l'allocution, prononcée depuis la présidence du gouvernement/Kasbah #Chahed
— Guillaume Klein (@Guilhem_Klein) May 24, 2017
De nouvelles arrestations ont eu lieu mercredi matin : Ali Ghedamsi l’homme fort ayant la main mise sur le port de Sfax et passe pour être le baron de la contrebande et de la corruption sur les quais du port. Afif Dhouib fait également partie du lot.
#Tunisie : coup de filet anticorruption et espoir d'opération "Mains propres" https://t.co/XKl0HpE4QT par @InesBelAiba et @ms_afp #AFP
— Agence France-Presse (@afpfr) May 24, 2017
Autre gros poisson arrêté, un surnommé « Ouachouacha », roi de la contrebande dans la région de Ben Guerdane. A ceux-là viennent s’ajouter Slim Zarrouk, beau frère du président déchu et Slimane Ourak, ancien directeur général de la Douane et ministre du commerce du dernier gouvernement de Ben Ali.
Le site désertique d’El-Kamour, dans la région de Tataouine (sud), est le théâtre depuis plusieurs semaines d’un sit-in qui a dégénéré en affrontements avec les forces de l’ordre. Lundi, un jeune manifestant est mort écrasé « accidentellement » selon les autorités par un véhicule de la gendarmerie, ce qui a provoqué une flambée de violences.
« La guerre a commencé »
Les autorités ont mis en garde contre « le danger » d’un dérapage de la situation, et certains responsables ont assuré que des hommes politiques et des hommes d’affaires (sans les nommer) incitaient les habitants du sud à manifester.
Toute ma solidarité avec la lutte contre la corruption en #Tunisie!
— Fredrik Florén (@FredrikPFloren) May 24, 2017
La nouvelle des arrestations a été largement saluée dans les médias et sur les réseaux sociaux, même si certains ont espéré qu’il ne s’agisse pas de « poudre aux yeux ».
« La guerre contre la grande corruption a commencé », s’est réjoui en Une le quotidien La Presse en allusion à « l’opération coup de poing de Youssef Chahed », le chef du gouvernement.
« Bravo (…) et on ne lâche rien! », s’est enthousiasmé un animateur de la radio nationale, qualifiant ces arrestations de bouffée d'”air frais » dans la morosité ambiante.
Beaucoup sur les réseaux sociaux ont en outre espéré le lancement d’une opération « Mains propres» semblable à celle ayant provoqué des milliers d’arrestations en Italie dans les années 1990.
Premier pas
En fonction depuis l’été dernier, Youssef Chahed a promis que la lutte contre la corruption serait une de ses priorités, mais il s’est trouvé « systématiquement freiné dans son élan », a jugé l’International Crisis Group (ICG) dans un récent rapport sur l’impact de la corruption et du clientélisme sur la transition démocratique.
Les arrestations « nous ont à la fois surpris et réjouis », a dit à l’AFP Youssef Belgacem, de l’ONG anti-corruption I-Watch.
« Nous espérons que c’est le premier pas sérieux dans la guerre contre la corruption et les corrompus, et pas une tentative de calmer les manifestations à Tataouine et ailleurs », a-t-il ajouté. « La liste des barons de la corruption est encore longue. »
« S’il s’agit d’un vrai changement dans sa politique, alors Chahed ne trouvera que du soutien chez le peuple tunisien », a de son côté réagi sur Twitter le constitutionnaliste et militant politique Jaouhar Ben Mbarek.
Le gouvernement « a une volonté de fer dans la lutte contre la corruption », a assuré le secrétaire d’Etat chargé des affaires foncières, Mabrouk Kourchid, sur Nessma TV. « Et si le gouvernement doit tomber en raison de cette bataille (…), nous l’acceptons », a-t-il ajouté.
Ce coup de filet inédit intervient quelques jours après le témoignage édifiant du membre le plus connu du clan Trabelsi, qui avait mis de larges pans de l’économie sous coupe réglée pendant la dictature.
Lors d’une audition publique vendredi de l’Instance vérité et dignité, chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’Homme du passé, Imed Trabelsi, neveu de l’ex-Première dame de Tunisie, a décrit un système à l’époque bien huilé grâce à la complicité de douaniers, de hauts fonctionnaires et de ministres.