Genève — Ces images resteront à jamais gravées dans nos mémoires : des familles aux abois, tassées dans des conteneurs suffocants ou dans de frêles embarcations. Des corps échoués sur des rivages et des plages après un voyage qui n’a pas abouti. Des êtres humains marqués et brisés par des années de maltraitance et d’exploitation.
En effet, nous sommes bouleversés par les récits des violences et des prédations commises par ceux qui veulent exploiter à leurs propres fins la situation de personnes désespérées. Nous sommes révoltés au plus profond de nous-mêmes en voyant que des enfants risquent de subir des préjudices irréparables – voire de mourir – simplement parce que leur famille veut pour eux un avenir meilleur.
Aujourd’hui, cependant, en cette Journée mondiale de la lutte contre la traite, ne nous appesantissons pas sur ce que nous ressentons face aux migrants victimes de la traite.
Bien plutôt, cette journée nous rappelle qu’une année de plus s’est écoulée, au cours de laquelle, malgré tous nos efforts, nous n’en avons toujours pas fait assez. Il est temps de mettre fin à la traite des hommes, des femmes et des enfants dans le monde entier.
Avec des partenaires gouvernementaux, de la société civile et du secteur privé, l’OIM s’emploie sans relâche à éliminer les pratiques délétères en matière de recrutement international de main-d’œuvre. Nous nous battons pour faire connaître les droits des migrants qui franchissent des frontières pour occuper des emplois difficiles qui ne peuvent être pourvus dans beaucoup de pays prospères, et nous veillons à ce que ces droits soient protégés et défendus.
Ces efforts ne sont toutefois pas suffisants. Il nous faut également traquer les trafiquants. Et nous devons tenir les gouvernements des États Membres de l’OIM pour responsables lorsqu’ils ne protègent pas les victimes des trafiquants.
La migration est de plus en plus considérée comme un moyen de fuir un conflit, l’instabilité, l’insécurité alimentaire, une catastrophe naturelle et le changement climatique. Nous savons que les mouvements massifs de population font le lit des éléments criminels et leur permettent de se développer pour profiter de ceux qui migrent.
Or, cette constatation n’a pas encore débouché sur des mesures suffisantes permettant de mettre fin aux facteurs qui poussent à entreprendre une migration dangereuse ou de répondre aux besoins de protection et d’assistance des migrants.
Aujourd’hui, malheureusement, de nombreux gouvernements s’en prennent d’abord aux ONG qui portent secours aux migrants vulnérables, plutôt qu’aux trafiquants et aux passeurs. Sanctionner les sauveteurs – surtout pour des raisons administratives, telles que l’absence de permis d’accostage approprié ou de compétence pour mener des interventions en mer – est non seulement injuste, mais aussi inefficace, et gaspille en outre les ressources à la fois des ONG et des autorités chargées de l’application des lois de ces mêmes gouvernements.
D’importants investissements et une coopération internationale s’imposent pour relever ces défis. Nous ne pouvons pas les ignorer et, dans le même temps, espérer que les migrations dangereuses et la traite des migrants qui en résulte disparaîtront d’elles-mêmes.
En tant que citoyens, nous pouvons dénoncer publiquement et en privé les sentiments hostiles aux migrants, qui ont pour effet d’amenuiser l’empathie du public et laissent aux trafiquants les coudées franches pour agir en toute impunité. Nous pouvons réclamer des comptes aux dirigeants qui tolèrent ou encouragent des discours qui déshumanisent les migrants, quels qu’ils soient.
En tant que consommateurs, nous pouvons réclamer des biens et des services exempts de toute pratique d’esclavage ou d’exploitation.
En tant que dirigeants, nous pouvons investir à nouveau dans nos systèmes de protection, y compris les systèmes de protection de l’enfance et des victimes des violences domestiques, et les systèmes de défense des droits des travailleurs. Nous devons veiller à ce que ces systèmes soient en place et dotés des ressources nécessaires pour répondre aux besoins de toutes les personnes vulnérables, y compris les migrants vulnérables.
Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et espérer que les choses changent.
Je suis conscient qu’un grand nombre de personnes migrent non seulement pour fuir des situations désespérées, mais aussi pour réaliser leurs aspirations. Je conviens que les gouvernements ont un intérêt légitime à protéger leurs frontières et à gérer les flux migratoires. Je sais que, souvent, les gouvernements doivent trouver un équilibre entre les intérêts de leur population et les besoins humanitaires des migrants, qui semblent parfois inconciliables.
Cependant, il est dans l’intérêt de tous d’assurer le respect de la dignité humaine et de défendre les droits de l’homme. Notre humanité l’exige.