Paris (Reuters) – Un vaste mouvement de grèves et manifestations dans les secteurs public et privé débute en France jeudi contre le projet gouvernemental de réforme des retraites, un nouvel acte social du quinquennat après les « Gilets jaunes » dont l’exécutif redoute qu’il n’égale la lame de fond de 1995. Les syndicats, qui ne sont pas parvenus depuis 2017 à faire plier Emmanuel Macron, espèrent s’imposer dans ce bras de fer sur une réforme déterminante dont le principe est posé, mais qui reste à écrire.
Dans @lemondefr, nous sommes 180 intellectuels et artistes à soutenir la #greve5décembre.
Parmi les signatures: Geoffroy de Lagasnerie, Thomas Piketty, Didier Eribon, Alain Mabanckou, Cyril Dion, Edouard Louis, Julia Cagé, Rokhaya Diallo, Laurent Binet, … ✊❤️ pic.twitter.com/ONj8ReVoHZ— Thomas Porcher (@PorcherThomas) December 4, 2019
L’exécutif, confronté à une agrégation des mécontentements, affiche sa fermeté sur l’objectif d’un système universel de retraites par points supprimant les régimes spéciaux, mais se ménage une marge de négociation, sur l’entrée en vigueur de la réforme particulièrement, mais aussi la pénibilité et les droits familiaux. Sa capacité d’action se mesurera à l’aune de la contestation de jeudi et des jours, voire des semaines, qui suivent, avec la menace d’une grève « illimitée » dans les transports à l’approche des vacances de Noël. Le gouvernement prend aussi très au sérieux le risque de violences, avec la mobilisation probable de « gilets jaunes radicaux » et de « Black Blocs » dans la manifestation parisienne ce jeudi.
Réforme des #retraites : quelques précisions concernant les différentes informations qui circulent 👇https://t.co/ITAGhOxoWg pic.twitter.com/YNname41iu
— CFDT (@CFDT) December 4, 2019
Les perturbations annoncées seront d’ampleur, particulièrement dans les transports et l’Éducation nationale. Dix pour cent seulement des trains de la SNCF circuleront jeudi, onze stations du métro parisien seront fermées, avec un trafic “extrêmement perturbé” selon la RATP.
Le futur système de #retraites introduira de nouveaux droits : pic.twitter.com/SbuwIgl0ie
— Edouard Philippe (@EPhilippe_LH) November 27, 2019
Les deux entreprises publiques encouragent via leurs réseaux d’information les “mobilités alternatives” comme le covoiturage, le vélo, les trottinettes et scooters électriques. Nombre de personnes, notamment en Ile-de-France, ayant choisi de se reporter sur la voiture, des difficultés de circulation sont à craindre sur les routes. Des entreprises ont également opté pour le télétravail.
Personnels des transports, enseignants, étudiants, policiers, avocats, personnels hospitaliers, dans les raffineries, les universités, la collecte des ordures… : nombre de secteurs seront affectés.
« Ça va péter très fort! »
Dans L’Éducation nationale, « plus du tiers des écoles seront fermées jeudi », selon le SNUipp-FSU, syndicat majoritaire dans les écoles primaires. Le ministère s’attend à 55% de grévistes dans le premier degré, dont 78% à Paris. Dans le second degré, « environ 50% des enseignants seront en grève. » La CGT, FO, la FSU et Solidaires sont à l’origine de l’appel à cette grève interprofessionnelle. La CFE-CGC a appelé à manifester, la CFTC laisse ses syndicats libres de rallier le mouvement. La CFDT, dont le soutien à la réforme gouvernementale s’érode, ne se joint pas au mouvement mais sa branche Cheminots a déposé un préavis de grève.
« Le 5 décembre, je pense que ça va péter très fort. Le corps social refuse ce qui lui arrive et il y a beaucoup de réfractaires au changement. Mais il faut passer par la colère pour arriver à la phase d’acceptation. Il faudra tenir bon », souligne un député de la majorité. Le haut-commissaire aux Retraites Jean-Paul Delevoye livrera les conclusions de ses discussions avec les partenaires sociaux « le 9 ou le 10 décembre », notamment sur le mode de transition des régimes spéciaux vers le système unique, le Premier ministre, Edouard Philippe, dévoilant ensuite les grandes lignes du projet de loi pour un examen au Parlement début 2020.
« On va vivre une forme d’affrontement assez puissant sur une réforme (…) qui n’est encore inscrite nulle part », déplore le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, qui ne participera pas au mouvement. « En termes de tensions, de cohésion sociale, de sécessions qui existent au sein de la société, c’est beaucoup plus fort qu’en 1995 », souligne-t-il dans un entretien à Reuters.
Le mouvement social de l’automne 1995 (24 novembre-15 décembre) contre le « plan Juppé » de refonte de la Sécurité sociale, des retraites de la Fonction publique et des régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF) fut le plus important depuis les événements de Mai 68, drainant des millions de personnes dans les rues. Alain Juppé, mentor d’Édouard Philippe, cédera sur les retraites, pas sur la Sécurité sociale. Selon un sondage Harris Interactive pour RTL et AEF Info diffusé mercredi, 69% des Français soutiennent la grève et 70% disent leur inquiétude face à la perspective d’un régime universel de retraites par points.
Sophie Louet, édité par Jean-Michel Bélot